Une jeune Chaux-de-Fonnière en marge des tourments de la guerre

De la Slovénie à la Hongrie : Thérèse Hoffmann préceptrice des enfants d'une famille princière entre octobre 1940 et juin 1941

Extraits d'une correspondance

Une jeune Chaux-de-Fonnière en marge des tourments de la guerre

Beaucoup de jeunes Neuchâteloises sont parties à l’étranger (Autriche, Allemagne, Angleterre, Russie…) entre la fin du 19e siècle et le milieu du 20e siècle, comme jeunes filles au pair, gouvernantes d’enfants, ou dans le cadre d’un échange linguistique. Elles désirent parfaire leur maîtrise des langues étrangères, enrichir leur culture générale, ou tout simplement gagner leur vie quand elles ne trouvent pas de travail en Suisse. Il semble que les adresses des « employeurs » étaient transmises de bouche à oreilles, par les réseaux de l’église protestante.

Thérèse Hoffmann (1922-2012)

Après des études de piano au conservatoire, qu’elle doit interrompre en raison de la guerre, Thérèse, fille de Jean Hoffmann, avocat et homme politique de La Chaux-de-Fonds, va passer neuf mois (octobre 1940 à fin juin 1941) en Slovénie et en Hongrie, comme préceptrice des six enfants du prince Karl Auersperg (1895-1980) et de la princesse Maria Henriette, née comtesse de Meran (1904-2000). Reprenant la place laissée vacante par Elisabeth Schneider, elle doit quitter sa famille (son père, sa mère, sa sœur Béa) et son fiancé Francis Roulet.

Elle traverse la Suisse, l’Italie, passe par Trieste, Ljubljana et arrive enfin à Soteska (Ainöd en allemand) en Slovénie. Elle découvre le château appartenant à la famille Auersperg depuis le 17e siècle (il fut brûlé le 23 octobre 1943 par les partisans de l’Armée de libération yougoslave) et la famille elle-même. 

Le prince est grand, fort, noiraud, bel homme. La princesse est mince, grande, jolie. Elle a les yeux bleus, les cheveux noirs. Politiquement la famille hait l’Angleterre, admire la Suisse et déteste les Juifs. A Noël, on distribue des cadeaux aux villageois. Les petits paysans baisent la main de la princesse ! Au début du mois d’avril 1941, la famille quitte Ainöd pour Budapest à cause des bruits de bottes nazis. Le voyage durera 24 heures. Les Auersperg et Thérèse sont hébergés dans une annexe du château de la comtesse Cudenhove-Breunner à Zseliz (où a vécu Schubert durant les étés 1818 et 1824 et où son piano se trouve encore). Ils y resteront deux mois, puis rentreront en voiture en Slovénie (à dix personnes dans une voiture de quatre places !).

Le courrier est alors censuré et beaucoup de passages des lettres échangées sont biffés.

Dans les lettres reçues par Thérèse, de sa famille, de ses amis, transparaît une grande inquiétude. On sent beaucoup d’amour, une vraie complicité mère-fille (« mon petit poulet rôti » !). Le 28 mars 1941, l’inquiétude est vive, l’incertitude règne. Le père parle de rapatriement. Il demande une protection pour sa fille auprès du consul. Le 8 avril 1941, la mère de Thérèse écrit : « ces imbéciles de Serbes ont jugé à propos de mépriser les conditions fort avantageuses qu’on leur offre pour se battre pour les Anglais ! »

A son retour à La Chaux-de-Fonds, Thérèse épouse son fiancé Francis Roulet, avocat. Le couple adopte quatre enfants à une époque où l’adoption était encore peu courante. Très mélomanes, les Roulet s’impliquent dans la vie culturelle de La Chaux-de-Fonds. Ils accueillent, à leur domicile, les plus grands noms de la musique classique : Karl Schuricht, Clara Haskil, Raffaele d’Alessandro… Dans les années 1950, Thérèse Roulet devient psychanalyste, métier qu’elle pratique pendant une trentaine d’années. Elle a aussi servi de modèle aux peintres l’Eplatennier et Dessoulavy pour qui elle a posé pour la plupart des figures féminines des fresques de la gare de La Chaux-de-Fonds.

Table des matières

A part les bonnes, il ne reste au château que moi !

Départ pour Budapest

Arrivée à Budapest après 24 heures de voyage

A la guerre comme à la guerre

Une excursion à cheval