L'été 1914 était un bel été, mais..

Le témoignage de deux paysannes.

La première, Léa Currit, habitait la Montagne-de-Travers. Elle a tenu un journal / livre de raison tous les jours durant quarante ans, de 1896 à 1936.

La seconde, Lina Bachmann tenait un domaine à Boudevilliers avec son mari, de santé fragile, et ses deux fils. Elle va rédiger son journal durant toute la durée du conflit. 

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Léa Currit

Samedi 1er août 1914

Chaude et belle journée, aussi on a hâte d’en profiter. L’oncle Emile Currit est venu nous aider jusqu’à 11 heures pour décharger et en charger 1 char avant de redescendre. Après-midi, François et Eusébie sont venus nous aider, et on a pu charger 6 bons chars. C’est toujours une belle vidée. Le grand-papa est venu aussi m’apporter du papier peint. La tante Julie est venue un moment en visite pour se distraire, car son mari est parti border les frontières à midi. Ce n’est pas réjouissant. Tout ce qu’on entend, et ce que l’on voit me fait peur. Monsieur Streif est venu me faire donner le signalement des chevaux et me donner l’ordre de les tenir à la disposition de la Confédération. C’est vraiment des choses épouvantables qui se passent, que Dieu nous épargne de plus grandes calamités.

Dimanche 2 août

Le temps se brouille, néanmoins on a pu en se hâtant bien ramasser le reste de la combe. Quelle veine, car je reçois un ordre de présenter les deux chevaux demain matin. (…)

 

Lina Bachmann (quelques extraits de son Journal)

1er août 1914
Les hommes du Landsturm sont partis aujourd’hui, quelle triste journée, aussi le 1erAoût n’a pas été fêté comme d’habitude, pas même un feu.

2 août
C’est dimanche. Nous attendons Jean qui arrive de la Brévine où il était allé faire les foins. Il nous raconte bien des choses, toutes plus tristes les unes que les autres ; ce soir, Albert et Jean préparent leurs effets militaires pour partir mardi matin : MM Paul Chollet, Albert Moulin, Emile Kohler et M. et Mme Jacottet sont venus leur dire adieu.

4 août
Triste journée. Papa est parti ce matin à 6 heures pour conduire les chevaux et les chars à Colombier et nos deux chers fils partent à 8 heures avec leurs chevaux, tristes mais pleins de courage.

5 août
Ce matin le temps était un peu remis, je suis descendue à Colombier pour faire visite à Marie Philippin et pour voir l’assermentation des soldats. C’était vraiment saisissant, trois bataillons immobiles avec leur drapeau et la cavalerie avec ses beaux chevaux qui viennent se poser là pour jurer de rester fidèles à leur patrie et à leur drapeau. C’est vraiment très imposant et j’ai eu le bonheur de revoir mes chers fils pour leur dire un dernier adieu. De Colombier je vais pour faire une visite de deuil à mon amie Porret.
Quand j’arrive à la maison à 9 heures du soir je trouve des soldats installés dans la cuisine et dans la chambre, un docteur, un capitaine et 3 officiers, ils sont si bien installés qu’ils y restent jusqu’à 11 heures et demie. C’est le bataillon 19 qui est cantonné ici pour deux jours, nous avons plusieurs soldats qui viennent pour souper ou boire du lait et ces cinq supérieurs qui viennent prendre tous leurs repas chez nous.

6 août
La pluie continue de tomber torrentielle et froide toute la matinée, les soldats restent tranquilles dans leurs granges et l’après-midi la pluie ayant cessé, ils vont faire des exercices. Lili est allée arracher des pommes de terre ; les soldats demandent des pommes de terre rôties.

8 août
Depuis 4 heures on entend du bruit, des chevaux, des hommes pressés et avant 5h des chars, des fourgons, des chars de munitions passent par ici, puis viennent des soldats et toujours des soldats et encore la cavalerie et parmi eux se trouvent nos deux chers fils et nous avons le malheur de ne pas les voir. Nous pleurons en pensant que nous aurions pu leur porter quelque chose à manger et que tout cela a manqué. Enfin les soldats qui restaient encore au village sont partis. Tout est rentré dans le calme ; il fait beau temps Ernest Herren est venu voir s’il pouvait nous aider un peu.

2 septembre 1914
Triste nouvelle ce matin. On me dit que l’Allemagne a renvoyé un ultimatum à la Suisse et je désire tant que nos soldats n’aient pas besoin de se battre, enfin confions-nous en Dieu et supplions-le de nous garder et de nous préserver de tout mal. Nous avons conduit 2 sacs de blé au moulin Tissot et rentré un énorme char de regain à la ferme et avons fini le blé. Quel bonheur. Espérons que cela ira vite avec l’avoine. Lili est allée faucher le Breuil ce soir. Elle fauche très bien. Elle est allée conduire les poules à M. Charles Berthoud à Peseux.


3 septembre
Hier soir on m’a dit que ce bruit d’ultimatum n’était pas vrai, heureusement !

6 septembre
Quelle belle journée de dimanche ! M. Jacottet nous a fait un culte comme il sait les faire et ce soir il y avait une réunion mais il y avait peu de monde. Pierre aurait aussi pu y aller mais il n’aime pas ces choses sérieuses, c’est triste quand l’âme n’a ni faim ni soif après les choses de Dieu, et surtout pendant ces tristes temps de guerre.

19 septembre
Aujourd’hui samedi j’ai fait du pain et du gâteau avec de la farine de la Borcarderie, elle est beaucoup meilleure que celle de chez M. Tissot. Nous disions si seulement nos fils étaient là pour manger du gâteau aux pruneaux et voilà ô surprise notre cher Jean qui arrive en congé pour 6 jours, quel bonheur de se revoir, dommage qu’Albert n’est pas là mais Jean nous dit qu’il viendra bientôt.

14 novembre
Oh quelle surprise aujourd’hui ! nos deux chers fils sont arrivés à 11h30 ce matin avec leurs chevaux et nous ne savions pas qu’ils venaient ; nous avons eu beaucoup de choses à nous raconter.

23 novembre
Triste journée aujourd’hui ! Pourquoi toujours ces départs qui font si mal au cœur d’une mère et pourtant il faut qu’ils partent, que Dieu les garde et les accompagne et que dans sa bonté Il nous les ramène bientôt et que la paix soit proclamée dans le monde entier.

4 décembre
Il y a aujourd’hui 4 mois que nos soldats sont partis pour garder la frontière, et Dieu soit béni jusqu’ici ils ont été gardés ; et ô grand bonheur ils sont revenus ce soir à 5 h. pour un congé illimité, si seulement ils n’avaient pas besoin de retourner.

 

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