La grande nouvelle de la révolution de Neuchâtel

Image : Un bateau à vapeur aux couleurs helvétiques amène le comissaire fédéral Duplan-Veilon à Neuchâtel, où il est chargé de coordonner la reprise en mains du canton par les forces républicaines. Lithographie de Levaille (?), Andenken den 3ten september 1856. Reproduite dans Petitpierre (J.), 1958. Neuchâtel et la Confédération suisse devant l’Europe. Neuchâtel : Editions H. Messeiller, p. 119.

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Chaux-de-Fonds le 15 septembre 1856

Mon très cher frère !

Nous commencions à nous inquiéter sérieusement sur toi, et ta lettre est venue bien à point nous rassurer sur ton compte…

Tu auras peut-être déjà appris par les papiers, la grande nouvelle de la révolution de Neuchâtel, les 2, 3 et 4 septembre. Nous avons été Prussiens 2 jours, les drapeaux noir et blanc flottaient au Locle et à Neuchâtel. Mercredi 3 septembre le matin, quand je me suis levée, j’ai vu beaucoup d’agitation, les gendarmes couraient ainsi que les cols jaunes réveiller Célestin Perret et d’autres personnes, puis quelques hommes venaient en toute hâte à la Préfecture, cela m’inquiétait et j’ai dit à la maman, il se passe quelque chose d’extraordinaire, après on a conduit les canons sur la place et on a sonné le tocsin, personne ne savait ce que c’était, on disait qu’une insurrection avait éclaté au Locle, mais on ne connaissait pas tout le mal, les fils télégraphiques étaient coupés dans toutes les directions. Il s’est échappé un prisonnier dire la grande, mais terrible nouvelle.

Un des Pourtalès revenu de Prusse est le principal auteur de la révolution, il était à la tête d’une partie des royalistes, il en avait de 6 à 900, pourtant il n’y en avait point de La Chaux-de-Fonds, du village s’entend, ils disent n’en avoir rien su. Cette insurrection a éclaté la nuit, ils ont commencé de s’emparer du château et d’emprisonner les principaux membres du Conseil d’Etat, au Locle ils ont pris la maison de ville, ont emprisonné le préfet et d’autres membres, puis la gendarmerie. Sur le Crêt on ne laissait venir passer personne ; une femme voulait venir apporter des bottes à La Chaux-de-Fonds, il paraît qu’elle a voulu forcer de passer et des soldats royalistes l’ont tirée à bout portant, elle est morte sur la place et laisse 6 petits enfants. A 9 heures des compagnies de La Chaux-de-Fonds et 2 canons se sont dirigés sur Le Locle, à mesure qu’ils avançaient les royalistes fuyaient, au Locle quand ils ont entendu le canon ils ont eu peur et ont tout abandonné pour aller renforcer Neuchâtel ; à midi on a reçu la nouvelle que les républicains étaient maîtres au Locle. Après tous prenaient les armes pour Neuchâtel. Girard de Renan s’est mis à la tête des forces des Montagnes ; toute la nuit ils se sont battus aux armes blanches, et le lendemain à 6 heures du matin les républicains étaient maîtres du Château, c’était une véritable boucherie, il y a eu 15 royalistes morts, 31 blessés, les républicains n’ont rien eu de grave, ils ont fait prisonniers 3 Pourtalès une grande partie des nobles de Neuchâtel et environ 500 royalistes, des Eplatures, du Locle, de La Sagne, des Ponts de La Brévine de La Chaux-du-Milieu etc. Plusieurs pasteurs sont compromis entre autres M. Gagnebin des Eplatures qui est prisonnier. Nous avons été bien tourmentés pendant cet état de choses, à présent tout est tranquille, grâce aux troupes fédérales qui sont entrées immédiatement. Tous les villages bédouins sont occupés, chez nous, nous avons déjà eu 2 passages et on a dû loger 2 fois des militaires bernois, heureusement nous n’en avons pas encore eu. Un sapeur du Val-de-Travers a coupé la tête à un des fils Houriet du Locle à la prise du Château, au moment où il allumait la mèche d’un canon, pense quel malheur cela aurait fait s’il avait réussi. Parmi les blessés il se trouve un Pourtalès et quelques nobles de Neuchâtel, Paul Fabre de La Sagne et un Houriet du Locle. Pour le moment tout est tranquille, on élève Girard jusqu’aux nues, et on recevra plusieurs drapeaux des cantons voisins. Je te réponds que les royalistes sont inquiets jusqu’à ce que leurs chefs soient jugés.

(…)

Adieu, je t’embrasse de tout mon cœur, mon petit Charles, courage ! Et ne t’arrête pas aux difficultés. Il n’y a pas de roses sans épines, dit le proverbe. Ecris-nous bientôt, et longuement n’est-ce pas.

Ta sœur Adèle

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