La cuisine, au centre de la vie de la ménagère

La cuisine est la pièce par excellence de la ménagère. Ce lieu central de la vie d’une famille est ainsi décrit par ROGER SCHLUP (1924-2017) dans les Mémoires qu'il rédige en 2007. Les Schlup, famille modeste d'horlogers, viennent de s’installer dans leur appartement de la ferme Gallet, à la rue David-Pierre Bourquin. On est en 1930.

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Pour la cuisine, rien de particulier à signaler, sinon de grandes dalles de calcaire, plus ou moins jointes en formaient le fond. Le maçon qui en effectua la pose ne connaissait pas encore le niveau d’eau. L’évier, également en calcaire, mais poreux, pas très hygiénique si nous n’y prenions pas garde, datait du début du siècle précédent. Maman a cherché durant trente-quatre ans où se trouvait le robinet d’eau chaude. Elle est décédée sans l’avoir trouvé ! L’armoire de la cuisine, ou plus pompeusement dénommée le « buffet de cuisine », verni de couleur rouge brun écarlate à l’intérieur, comme tous ceux de cette génération, contenait, dans sa partie basse de droite, la caisse à bois. « Garde-manger » journalier indispensable au « potager neuchâtelois » qui lui siégeait majestueusement, sous le manteau de la cheminée ou plus prosaïquement, sous le « cul de la cheminée ». (…)

Une pièce importante siégeait, le dimanche, sur le potager, le « teufflet » ; ustensile en fonte brute de couleur uniformément noire, à l’intérieur comme à l’extérieur, dans lequel nous nous contentions pour le moment de rôtir des pommes de terre que nous dénommions pompeusement « frites ». Par la suite, et sans trop tarder, ce même « cassoton » allait collaborer en nous mijotant plus d’un lapin (…) voire même un petit poulet de grains, bien dodu ! (…) Bien sûr qu’en ces temps reculés nous ne mangions pas d’autruche, de bison, de nandou…, par contre de la vache enragée propre, oui ! (…)

Le samedi soir, après le turbin, l’ouvrier et les gamins transformaient la cuisine en salle de bain. Pour ces trempettes on remontait du bas des escaliers de la cave la grande seille galvanisée que l’on posait au milieu de la cuisine. Nous avions eu soin, au préalable, de chauffer de l’eau dans la « cocasse », la « bouilloire » voire même dans la « couleuse » suivant le degré d’encrassement des mioches, du père et de la mère. Un autre souvenir qui suivait ces moments d’ablutions, le souper se composait bien souvent d’une excellente bouillie à la semoule ou plus rarement, hélas, d’un riz au lait saupoudré de cannelle. (…)

Un travail pénible incombait à la ménagère trois ou quatre fois l’an. Ces jours-là la cuisine, à défaut de local adéquat, était encombrée de seilles parmi lesquelles siégeait la planche à laver, engin de supplice par excellence pour les pauvres mains de la lavandière déjà sensibilisées par l’agressivité du « lissu » (eau de lessive), la « couleuse » avec, à l’intérieur, son « champignon » et son bâton très utile pour travailler son linge ébouillanté. Je m’excuse, à nouveau, mais je tiens faire remarquer que la responsable de ces travaux obligeait le linge à cuire, un moment, à cent degrés ! Les ingrédients pour assaisonner la lessive consistaient en beaucoup « d’huile de coude », du « savon de Marseille », de la soude sans oublier la « brosse à risette », des litres de sueur et la boule de « bleu » pour blanchir la marchandise traitée, paradoxal, non, pour moi, oui ! C’était un jour où toute la cuisine et ses ustensiles coopéraient à la peine de la lessiveuse, ça transpirait de partout ! (…)

De temps en temps, il fallait (…) donner (…) aux casseroles un peu de rajeunissement lorsqu’elles étaient par trop déformées, percées ; pour cela, nous avions le rétameur, docteur ès casseroles, qui passait dans les rues tout comme le rémouleur, pour aiguiser les couteaux et les ciseaux ou le canneur de chaises pour les sièges à placet de paille tressée. J’entends encore crier, le long de la rue de Beau-Site, « retameur » ou « canneur de chaises » ou encore « rémouleur », les bruits de la circulation ne couvraient pas leurs appels. Il appartenait aux ménagères d’ouvrir leur fenêtre de cuisine et de leur faire signe de venir chercher les ustensiles à réparer.

 

Voir d'autres extraits des Mémoires de Roger Schlup dans les dossiers : Ambiance de Noël (Rubrique : Vie familiale) et Potagers et fourneaux (Rubrique : Vie domestique).