Brême

La ville de Brême au début du XXe siècle (tous droits réservés).

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Dresden, 10 septembre 1906

Ma chère famille,

(…) Je continue mon récit de voyage. Nous arrivons à Bremen à 11 heures du soir environ, et nous nous mîmes à la recherche de l’hôtel qui d’après le Baedecker nous semblait le meilleur. Nous fûmes accostés par des « pisteurs » qui offrent de nous indiquer un bon hôtel duquel ils reçoivent un % par personne trouvée. L’hôtel (celui du Baedecker) avait modeste apparence, mais les chambres sont superbes. Nous n’en avons trouvé nulle part de plus jolies et de plus confortables.

Nous passâmes le dimanche à Bremen. Le matin nous visitâmes la ville puis nous nous rendîmes à la cathédrale pour écouter le service divin. L’intérieur est tout à fait remarquable avec des vitraux magnifiques de coloris et des nefs, des piliers peints ou sculptés à profusion. Toutes les beautés de Bremen se trouvent réunies au même endroit, le dôme, l’hôtel de ville, le tribunal etc. Devant l’Hôtel de Ville se trouve une statue de Roland très ancienne et très célèbre. Les Brêmois (?) en sont très fiers.
De l’église nous passâmes dans un musée si bien aménagé qu’il a servi de modèle à l’installation de ceux de plusieurs villes allemandes. C’est tout à la fois un musée de commerce, d’industrie et d’ethnographie. Il y a même je crois une section d’histoire naturelle. Par exemple la partie consacrée au commerce est très complète. Il y a plusieurs sections. Celle du tabac présente des feuilles de tabac, à différents stages de développement, des photographies de plantations, des ballots de tabac, tels qu’ils arrivent à Bremen avec leur emballage spécial suivant le pays d’origine, puis vient une longue exposition de différentes sortes de cigares etc. Ce que ce musée a aussi de remarquable, ce sont les nombreux groupes de cire qu’il contient. Ainsi la section du coton représente une plantation et des personnages en cire, types du pays avec leur costume national qui cueillent les flocons. Il y a ainsi une famille hindoue dans sa maison et chaque personnage est occupé à son emploi habituel. Il y a une famille de sauvages, où les hommes se reposent avec leurs parures de guerre tandis que la femme travaille. Tous ces groupes sont de grandeur naturelle, parfaitement imités, occupant un large espace. Il y a aussi une pirogue de Zélandais avec 6 rameurs de pirogue, des pagaies, les armes tout vient du pays et les rameurs sont si bien faits qu’on a l’impression d’être transporté en Australie. Nous avons ainsi vu quantité de choses intéressantes dans ce musée de même forme que celui d’Hamburg, mais mieux éclairé et plus riche et peut-être plus spacieux. Même les animaux empaillés forment des groupes spéciaux. C’est ainsi qu’il y a des familles de perdreaux avec parents et enfants dans des poses naturelles, dans un endroit qu’ils affectionnent ; il y a un tigre qui attaque un éléphant et la férocité de l’un, l’affolement de l’autre sont rendus à s’y méprendre. Guignard ne pouvait pas s’en détacher et restait là devant bouche bée.

Le sous-sol est occupé par un aquarium où se débattent en paix toutes sortes de poissons et de mollusques. L’éclairage est électrique et l’eau sans cesse renouvelée. C’est très joli. Nous avons passé plus de deux heures là-dedans puis nous sommes allés dîner.

Nous avons passé une partie de l’après-midi à parcourir les principales rues et les promenades de la ville. Nous avons aussi gravi la seule hauteur qui environne la ville et qui est bien à 20 mètres d’altitude au-dessus des rues. C’est une vraie misère qui nous a fait bien rire.

Ensuite nous sommes allés au port ouvert aux visiteurs. Il est entouré de bâtiments administratifs ou d’entrepôts et est ceinturé par de grandes grilles en fer. Ma photographie vous donne une faible idée de sa grandeur. C’est une très longue pièce d’eau rectangulaire, fermée d’un côté par le bâtiment de l’administration (d’où est prise une photo) et encaissée de deux côtés par une haute muraille toute hérissée de grues et le long de laquelle viennent se ranger les vaisseaux. Enfin l’autre extrémité correspond avec la mer libre. Nous avons longé longtemps le port voyant toujours d’autres vaisseaux, et il m’a fallu expliquer à Guignard comment un vaisseau peut avancer dans l’eau et comment il peut se tenir en équilibre, ce qu’il n’a pas eu l’air de saisir bien complètement. Le port a l’air passablement plus petit que celui de Hamburg et beaucoup moins important. Les abords en sont peu dégagés et entourés de maisons basses, et d’hôtels à bon marché.

Je ne sais pas d’où cela provient, mais plusieurs hôtels de ville en Allemagne ont des caves réputées. Tel est celui de Bremen. Nous sommes allés y souper. C’est, d’après ce que j’ai pu voir, le rendez-vous de la meilleure bourgeoisie, du patriciat brêmois réputé dans toute l’Allemagne pour sa hauteur et son exclusivité. Les salles sont voûtées et le fond de plusieurs est occupé par d’immenses foudres [tonneaux], vernis et sculptés. Ils m’ont semblé être en chêne. D’autres caves sont en bois, du moins les parois et le plafond peint représentent des sujets allégoriques. Il y a (la) lumière électrique et le tout est très cossu.

D’autres caves sont fermées à clef, et on ne peut les visiter qu’accompagné d’un gardien. Ce sont celles qui contiennent les vins vieux et rarissimes. Il y en a du 17e siècle. On ne les offre qu’aux visiteurs princiers, parmi eux on cite si je me souviens bien, Bismarck et le roi de Suède. Une de ces caves porte le nom de cave des apôtres parce qu’elle contient 12 fûts sculptés avec le nom d’un apôtre inscrit sur chacun d’eux. Une autre est la cave de la rose, parce qu’un artiste italien de passage au 17e siècle a dessiné au plafond une magnifique rose. Une autre contient des tonneaux si vieux que les sculptures s’en vont et qu’on doit les refaire. Naturellement que Bacchus n’y est pas oublié.

Nous n’avons vu boire que du vin dans ces caves, et que du vin allemand. Il y en a des spécialités à l’infini et toutes très chères. C’est là que nous avons fini notre journée. Le lendemain nous partions à 8 heures pour Hannover dont je vous parlerai dans ma prochaine lettre. (1)


(…)
Saluez svp toute ma parenté de ma part et recevez les meilleurs baisers de votre affectionné Pilet.


(1) Accaparé par son départ de Dresde pour Heidelberg, où il accomplira sa première année de droit, Paul Baillod n’a pas relaté dans les lettres suivantes la fin de son voyage en Allemagne du Nord.

 

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