Noël de guerre
Une famille déchirée
Il me reste un souvenir précis et douloureux d'une des premières années de guerre. Nous avions déménagé dans l'appartement au-dessus de la pharmacie. Il n'y avait plus de sapin mais des branches sur la cheminée, décorées avec les bougies et les boules, sans oublier l'unique et précieux petit oiseau qui n'était pas cassé, que je manipulais avec précaution.
Mon frère aîné était revenu d'Allemagne nazie pour accomplir une période de son service militaire. Ses visites étaient rares, il nous apportait du sucre que les Boches volaient aux Français.
J'avais aligné des souliers devant la cheminée, puis glissé de petits cadeaux confectionnés avec amour. Je m'étais déguisée en Père Noël, avec la robe de chambre de ma maman - elle était violette, mais qu'importe - je l'avais parsemée de coton hydrophile pour imiter des flocons de neige, je m'étais fait une barbe en coton et je l'avais attachée à mon passe-partout... il me fallait créer un climat festif! Je sentais bien la précarité de ces instants, nous avions besoin d'espoir, de rêve, d'un peu de bonheur, d'être ensemble.
Nous étions réunis dans la salle à manger... Papa a ouvert la porte... Stupeur et silence! Moment d'effroi! Papa est reparti, il ne s'était pas senti le bienvenu! Nous n'avions pas compris que son geste était peut-être un signe de réconciliation, un besoin d'être en famille ce jour-là... Avec tous ses enfants.
J'en ai encore le coeur gros... J'aimais bien mon Papa, malgré tout.
PS. Quand j'ai fondé une famille, je donnais les cadeaux le jour du Nouvel-An.